Lorsqu’une personne aînée ayant des incapacités tente de mettre fin à une situation de maltraitance, à qui s’adresse-t-elle? Quelles sont les démarches qu’elle a entreprises pour y mettre fin? A-t-elle fait appel à un organisme public, communautaire ou privé? Était-elle accompagnée dans ce parcours?
C’est ce qu’a voulu documenter une première recherche qualitative et exploratoire au Québec, intitulée Maltraitance psychologique et maltraitance matérielle et financière envers les personnes aînées ayant des incapacités.
Il s’agit d’une recherche participative qui a été réalisée par l’équipe de la professeure Marie Beaulieu, titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées de l’Université de Sherbrooke. Cette recherche s’inscrit dans la mesure 49 du Plan d’action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022. Elle a été financée par l’Office dans le cadre de son Programme de subventions à l’expérimentation.
L’équipe de madame Beaulieu a dû faire appel à diverses stratégies pour recruter les personnes participantes de leur étude. En tout, onze personnes aînées ayant des incapacités ont accepté de revisiter ces événements difficiles vécus au cours des cinq dernières années dans la région de l’Estrie. La richese de leur propos a permis de faire ressortir plusieurs pistes pour bonifier les pratiques grâce à l’analyse de dix-huit situations de maltraitance. Nous avons rencontré la chercheuse principale de cette recherche afin qu’elle nous explique les principaux constats de cette étude participative ainsi que les conditions gagnantes pour mieux accompagner ces personnes aînées ayant des incapacités qui vivent une situation de maltraitance.
Votre équipe de recherche a d’abord réalisé une recension des écrits scientifiques sur la maltraitance envers les aînés ayant des incapacités. Qu’est-ce qui est ressorti de cette analyse?
C’était essentiellement deux scénarios de maltraitance qui ressortaient plus que les autres dans la littérature. Le premier scénario faisait état de la maltraitance faite par des proches aidants envers des personnes ayant des incapacités. Le second portait sur la maltraitance qui se passait en milieu d’hébergement.
L’autre élément que nous avons relevé dans la littérature a été que l’incapacité devenait un facteur de vulnérabilité supplémentaire à la maltraitance. Mais, une fois dit, il y avait peu d’information sur l’expérience de maltraitance vécue par ces personnes aînées ayant des incapacités. Est-ce que c’était semblable ou différent des autres personnes aînées? Quels étaient les effets sur elles? Puis, en regardant de plus près les méthodologies employées dans les différentes études, nous nous sommes aperçus qu’il y avait seulement deux études répertoriées à travers le monde qui avaient déjà donné la parole à des personnes aînées en situation de maltraitance ayant des incapacités. Les autres études l’avaient fait au moyen de questionnaires, d’une analyse de dossiers ou encore par l’entremise des observations d’intervenantes et d’intervenants. Mais, la parole même de ces aînés était largement méconnue. C’est pourquoi dans notre recherche, nous avons voulu vraiment être près du terrain.
Il s’agit d’ailleurs du deuxième objectif de votre recherche, celui de mieux comprendre la façon dont les personnes aînées ayant des incapacités ont vécu la maltraitance, mais aussi le chemin qu’elles ont parcouru pour y mettre fin. Malgré le petit échantillon de votre étude, pouvez-vous nous décrire les principaux constats de ces entretiens avec ces personnes?
Malheureusement, la taille de l'échantillon est limitée, mais ce n'est pas faute d'avoir déployé divers moyens pour recruter des personnes aînées ayant des incapacités sur le territoire du CIUSSS de l'Estrie-CHUS (partenaire de cette recherche) disposées à relater leur expérience. Nous avons eu onze personnes aînées ayant des incapacités qui ont vécu des situations de maltraitance au cours des cinq dernières années. En recherche qualitative, cette taille d'échantillon est acceptable quand la richese des données est au rendez-vous, et ce fut le cas! Ces onze participants ont relaté dix-huit situations où la maltraitance psychologique et la maltraitance matérielle et financière se sont révélées fréquemment présentes de manière simultanée. Notre premier choc a été de constater que quelques-unes de ces personnes ont vécu plus d’une situation de maltraitance en cinq ans. Comme il est très difficile de vivre une situation de maltraitance, c’est encore plus difficile d’en vivre deux et même trois pour certaines d’entre elles.
Les deux tiers des situations de maltraitance rapportées ont eu lieu dans les milieux de vie des participants, soit au domicile, en résidences privées pour personnes aînées ou en ressources de type familial. Dans quatorze des dix-huit situations, les situations de maltraitance sont survenues dans un contexte de dispensation des soins et services. Ensuite, dans les dix situations sur dix-huit où les personnes handicapées ont associé leur situation de maltraitance au fait qu'elles aient une incapacité, la maltraitance a été commise dans un contexte de dispensation des soins liés à la condition de la personne. Un constat qui était vraiment intéressant et qui avait été peu relevé dans notre recension des écrits.
Chacune des dix-huit situations de maltraitance documentées a eu lieu dans un contexte singulier et a mené à une trajectoire de services unique, souvent sinueuse et complexe, ce qui rend impossible le fait d’en dégager un tracé uniforme. En fait, les personnes participantes se sont adressées à une panoplie de services pour obtenir de l’aide et du soutien. Nous avons rencontré dans notre recherche des personnes avec une telle détermination qui se sont beaucoup investies pour mettre fin à la situation de maltraitance.
L’autre élément important que nous avons constaté est l’importance du rôle joué par les proches pour dix des onze personnes participantes. Ces proches ont été les premières personnes à qui elles ont parlé avant d’entreprendre les démarches pour y mettre fin. Six participants ont bénéficié de ce type de soutien de la part d’un proche significatif grandement engagé tout au long de leur trajectoire de services.
Devant ces constats, quelles seraient les conditions gagnantes pour améliorer cet accompagnement pour faire cesser une situation de maltraitance?
C'est une première étude exploratoire du sujet au Québec qui permet d'identifier plusieurs pistes où aller creuser pour entreprendre de nouvelles recherches.
Notre recherche a pu montrer, entre autres, l’importance de l’aide informelle en soutien dans les démarches ou en soutien émotionnel. Cette dimension de l’accompagnement des personnes en situation de maltraitance n’a pas encore été étudiée à ce jour. Il y a trois organismes qui ont particulièrement été appréciés dans leurs actions de coordination des actions : les commissaires aux plaintes et à la qualité des services, certains travailleurs sociaux du réseau de la santé et des services sociaux et l’organisme communautaire dédié à la lutte contre la maltraitance envers les personnes aînées en Estrie.
Même si peu de personnes participantes ont utilisé la ligne Aide Abus Aînés ou ne la connaissait pas avant d’en avoir besoin, il importe de poursuivre la sensibilisation auprès du grand public de l’existence de cette importante ressource. Cela permet d’amener à sensibiliser aussi les proches puisque ces derniers ne réalisent pas le rôle qu’ils peuvent avoir lorsque quelqu’un s’ouvre à eux ou encore, s’ils remarquent des comportements inhabituels chez lui. Peu importe la sévérité de l’incapacité, la présence d’une personne clé dans la trajectoire de services des personnes aînées ayant des incapacités constitue un appui majeur dans la démarche qui vise à mettre fin à la maltraitance.
En terminant, comment trouver le bon équilibre pour mieux protéger les aînés ayant des incapacités tout en préservant leur pouvoir d’agir?
Depuis une cinquantaine d’années, il y a une grande réflexion dans le champ de la lutte contre la maltraitance envers les personnes aînées qui est de trouver l’équilibre entre le respect de l’autodétermination et la protection des personnes aînées. D’un côté, il ne faut pas protéger des gens qui n’en ont pas besoin à leur insu parce que ce serait de les infantiliser. De l’autre, il faut savoir bien protéger et accompagner ceux qui en ont besoin tout en renforçant leur pouvoir d’agir. Ce pouvoir d’agir est d’ailleurs quelque chose de fondamental dans le milieu de l’incapacité. La recherche doit donc continuer parce que cette étude a ouvert de multiples portes pour entrevoir le problème. La parole et la voix des personnes aînées ayant des incapacités doivent être davantage prises en compte dans nos prochaines études sur la maltraitance.
« Il y a maltraitance quand une absence d’action appropriée, un geste singulier ou répétitif, intentionnel ou non, se produit dans une relation où il devrait avoir de la confiance et que cela cause du tort ou de la détresse à une personne âgée. » (Gouvernement du Québec, 2017 : 15).
La terminologie québécoise, publiée dans le Plan d'action gouvernemental pour contrer la maltraitance envers les personnes aînées 2017-2022, précise que la maltraitance psychologique se définit par des gestes, paroles ou attitudes qui portent atteinte au bien-être ou à l'intégrité psychologique de la personne aînée. Par exemple, une personne peut subir de la manipulation, du chantage émotif, des insultes ou encore de l’humiliation.
Quant à la maltraitance matérielle et financière, elle survient lorsque quelqu’un obtient ou utilise de façon frauduleuse, illégale, non autorisée ou malhonnête, des biens ou des documents légaux de la personne aînée où il y a absence d'information ou mésinformation financière ou légale. Une personne aînée peut subir, entre autres, des pressions pour modifier son testament ou que l’on fasse des transactions bancaires sans consentement (utilisation d'une carte bancaire, transactions Internet).
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* Beaulieu, M., Carbonneau, H., Rondeau-Leclaire, A., avec la collaboration de Marcoux, L., Hébert, M. & Crevier, M. (2022). Maltraitance psychologique et maltraitance matérielle et financière envers les personnes aînées ayant des incapacités. Rapport de recherche partenariale entre la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées et le CIUSSS de l’Estrie-CHUS remis à l’OPHQ. Sherbrooke. 148 p.
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