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Pour Elsa Lavigne, la directrice générale de l’organisme AlterGo, il n’y a aucun doute. La pratique d’un sport ou d’un loisir permet aux personnes handicapées de développer leurs capacités, de s’épanouir et de dépasser leurs limites. Il suffit de mettre en place un environnement favorable leur permettant de développer tout leur potentiel. Par chance, la société évolue, mais il reste encore du travail à faire pour y arriver.
Cette année, le visuel de la Semaine québécoise des personnes handicapées met en vedette le danseur Luca Patuelli, qui a une incapacité physique. En quoi la pratique d’un sport ou d’un loisir favorise-t-elle la participation sociale des personnes handicapées?
La pratique d’une activité sportive ou de loisir favorise la participation sociale de toutes et tous. Elle apporte un bien-être mental et physique tant pour les personnes qui ont des incapacités que pour la population en général. Mais elle apporte certains bénéfices supplémentaires aux personnes handicapées. Elle leur permet, entre autres, de développer leur autonomie. Par exemple, les personnes qui ont une incapacité physique et qui pratiquent une activité sportive vont davantage maintenir et développer leurs capacités, ce qui favorise grandement l’autonomie et la qualité de vie de ces dernières.
Les liens sociaux qui se créent par le biais du sport et du loisir sont tout aussi importants. Ce sont des activités qui se déroulent habituellement dans le plaisir, ce qui permet de tisser des liens d’amitié, de briser l’isolement et développer un sentiment d’appartenance à une communauté. Le fait de participer à ce genre d’activités a un impact sur la façon dont la personne va se percevoir dans sa communauté. Elle sera davantage portée à faire du bénévolat et contribuera au développement d’un climat de bienveillance. Donc, au-delà de l’individu, il s’agit d’un apport à la société dans son ensemble.
Finalement, la présence de modèles, tels que Luca Patuelli, est primordiale dans la société. Cette représentation sociale inspire les jeunes, les encourage à croire en leurs capacités et les amène à affronter leurs craintes et celles des gens qui les entourent. Ils regardent ces modèles et se disent « moi aussi, je suis capable ».
Comment le concept d’accessibilité universelle contribue-t-il à favoriser cette participation sociale des personnes handicapées, particulièrement dans les domaines du sport, du loisir et de la culture?
L’accessibilité universelle est souvent un concept difficile à décrire. Une phrase simple qui réussit à bien l’expliquer est que l’accessibilité universelle est la condition qui permet la participation de tout le monde. Sans l’accessibilité universelle, on ne peut pas permettre la participation sociale de toutes et tous. Si l'on ne conçoit pas les services, les infrastructures, les processus de recrutement et les communications de manière universellement accessible dès le départ, on se retrouve coincé dans la dynamique des accommodements. On va donc toujours se retrouver à entreprendre des actions « à part », « en particulier », « adaptées » pour des personnes qui ne souhaitent, finalement, que faire les choses comme tout le monde. C’est donc la condition de base pour permettre la participation sociale de toutes les citoyennes et de tous les citoyens.
Il y a encore beaucoup de services spécialisés ou adaptés qui amènent les personnes qui ont des incapacités à évoluer dans une voie parallèle. Cette façon de faire ne permet pas la participation sociale, car le reste de la société n’est pas en contact avec ces personnes. Cette méconnaissance de leur réalité ne permet pas de répondre à leurs besoins dans la mise en place des services offerts à la population.
Aussi, le principe d’accessibilité universelle doit être mis en place à tous les niveaux. Bien sûr, l’accessibilité physique est importante, mais elle ne suffit pas. Une personne en fauteuil roulant qui se présente dans un centre de sport appréciera la présence d’une rampe d’accès et d’un bouton-poussoir, par exemple. Mais si elle n’est pas bien accueillie, elle n’aura pas le goût d’y retourner. Les attitudes et les comportements des personnes qui sont en relation avec les personnes handicapées sont tout aussi importants. Il faut donc travailler à réduire les obstacles rencontrés, et ce, sur différents plans et à mettre en place des solutions qui répondent aux besoins du plus grand nombre. Le concept d’accessibilité universelle répond non seulement aux besoins des personnes qui ont des incapacités, mais il répond également aux besoins des enfants, des familles, des personnes aînées, etc. Il s’agit d’un concept très large dont plusieurs types de clientèle peut bénéficier.
Le thème de la Semaine cette année est « Contribuer à 100 % » de ses capacités. Quels sont les obstacles qui persistent et qui empêchent les personnes handicapées de développer leur plein potentiel?
Un obstacle très important est lié aux préjugés qui sous-entendent que les personnes qui ont des incapacités ne peuvent pas contribuer à leur plein potentiel, alors que c’est pourtant possible de le faire de toutes sortes de façons. Le problème ne se situe pas au niveau des caractéristiques individuelles de la personne, mais concerne davantage l’environnement que la société met à sa disposition. Par la formation et la sensibilisation, il est possible d’agir directement sur les préjugés et d’atténuer les obstacles rencontrés par les personnes handicapées. En ce qui concerne l’activité physique, on le voit par exemple dans les écoles. Le personnel enseignant n’a pas toujours reçu de formation spécifique sur la façon d’interagir avec des personnes qui ont des incapacités. L’enseignement qui est donné dans les universités n’est pas le même partout.
De plus, l’accessibilité physique demeure l’un des enjeux les plus importants, parce que c’est probablement l’aspect sur lequel il est le plus difficile d’agir. Les mesures qui peuvent être mises en place sont souvent coûteuses et elles nécessitent du temps et des ressources.
Enfin, l’accessibilité des programmes est un obstacle qui perdure. Les programmes sont organisés de façon à répondre à des situations « standards ». Dans le domaine du sport et du loisir, une des problématiques est liée au fait que l’on considère souvent les activités sportives et de loisir destinées aux personnes handicapées comme étant du répit ou des activités thérapeutiques. Les camps de jour constituent pourtant une forme de répit pour tous les parents. Et l’équitation a des effets thérapeutiques pour toutes les personnes, qu’elles aient une incapacité ou non. Les bienfaits liés à la pratique de ces activités et les fonctions qu’elles remplissent sont les mêmes pour tout le monde. Et le loisir reste un droit pour tous. Cette façon de les catégoriser a un impact sur la perception du loisir pour les personnes handicapées et ultimement, sur son financement. Il devient difficile de savoir de quelle instance (santé, loisir, éducation) doit provenir le financement. Cette situation demeure un obstacle dans l’accès au loisir.
Pour une organisation qui désire devenir plus inclusive, mais qui ne sait pas trop comment s’y prendre, quelles actions peuvent être mises en place? Pouvez-vous nous donner quelques exemples concrets?
Dans un premier temps, il faut bien comprendre les besoins des personnes que l’on cherche à joindre et identifier les obstacles qu’elles risquent de rencontrer en utilisant les services. Bien documenter les problématiques vécues afin de bien cibler les besoins demeure la base si l’on veut trouver les solutions qui répondront adéquatement à ceux-ci. L’identification des obstacles doit nécessairement passer par la consultation des personnes qui ont des incapacités. Dans les domaines du sport, du loisir et de la culture, il s’agit de consulter les personnes qui fréquentent les services. Elles sont les mieux placées pour nommer leurs besoins, identifier les obstacles rencontrés et proposer des pistes de solution. De plus, il est possible d’interpeller les organismes spécialisés qui travaillent déjà avec la clientèle concernée, afin de les sonder et d’avoir leur son de cloche.
Un autre élément très important est de consulter les personnes handicapées non seulement en amont de la démarche, mais également en cours de route. Il est essentiel de savoir si les mesures mises en place répondent bien aux besoins identifiés et de se réajuster au besoin. L’ouverture à la critique est nécessaire parce que malgré tous les efforts qui seront faits, certains obstacles persisteront. Il faut être conscient de cette réalité, continuer à aller de l’avant et ne pas se décourager. Les besoins et les pratiques de loisir évoluent, alors il faut être capable de réajuster le tir lorsque nécessaire.
Pouvez-vous nous partager une initiative inspirante dont vous avez été témoin et qui a facilité l’accès à la pratique d’un sport ou d’un loisir à des personnes handicapées?
Il y a beaucoup d’initiatives très inspirantes. Par exemple, dans la région de Montréal, l’organisme O’sijja a été mis sur pied il y a quelques années. Celui-ci a développé, avec la collaboration d’un fabricant québécois, une planche à pagaie adaptée pour les personnes handicapées. La mission de l’organisme est de permettre aux personnes qui ont des incapacités physiques ou intellectuelles de s’initier à ce sport de manière universelle.
Aussi, dans le domaine de la culture, on voit une effervescence s’installer. Par exemple, le Théâtre du Rideau Vert a instauré une communauté de pratiques sur l’accessibilité des lieux de diffusion. La réponse des partenaires à cette initiative a été très positive, et même au-delà des attentes. Il s’agit d’un lieu privilégié pour échanger, partager des pratiques gagnantes et réaliser des projets communs.
Ces exemples concrets démontrent une volonté de changement et un intérêt à développer des solutions innovantes au bénéfice des personnes handicapées.
La question de la reconnaissance des athlètes handicapés a refait surface récemment, avec la tenue des derniers Jeux paralympiques et le débat sur les primes que les athlètes reçoivent. Que pensez-vous de la situation actuelle? Est-il difficile pour une ou un athlète handicapé d’obtenir une reconnaissance et de « vivre » de son sport?
La reconnaissance des athlètes et leur financement sont au cœur de ce débat. La plupart des athlètes d’élite ne gagnent pas leur vie en pratiquant leur sport, c’est encore plus vrai pour les athlètes qui ont des incapacités. Il y a bien sûr un écart entre les bourses accordées aux athlètes olympiques et celles accordées aux athlètes paralympiques. Sans un soutien financier, ces derniers n’ont assurément pas les ressources pour pratiquer leur sport adéquatement. Une meilleure reconnaissance des athlètes paralympiques entrainerait fort probablement une amélioration du financement.
De plus, l’accompagnement des athlètes qui ont des incapacités repose souvent sur les épaules des parents, de proches ou de bénévoles. En plus des sacrifices qu’exige la pratique d’un sport d’élite pour l’athlète lui-même, une autre personne doit également faire des sacrifices pour permettre l’accomplissement du rêve. Ça devient donc très difficile de se rendre jusqu’au bout. D’autant plus que les fédérations sportives n’ont souvent pas les ressources pour soutenir les athlètes. Il s’agit d’un réel défi.
Comment le Défi sportif AlterGo, dont votre organisation est l’instigateur, permet-il aux personnes handicapées de contribuer à 100 % de leurs capacités?
Le but d’AlterGo est d’offrir des opportunités, tant aux jeunes qu’aux athlètes d’élite. Comme on le sait, la pratique d’un sport d’élite demande beaucoup de sacrifices, alors l’objectif est de permettre aux athlètes de compétitionner dans leur pays, près de leur famille et de leurs proches, et ainsi favoriser le développement sportif. Pour les plus jeunes, le but est de leur permettre de s’initier à la pratique d’un sport par la participation à une première compétition.
La création de communautés qui vont soutenir les athlètes est également au cœur de la mission de l’organisme. La participation au Défi sportif AlterGo ne serait pas possible sans l’engagement de l’athlète lui-même, mais également de toute une communauté : la famille, les intervenants, l’école, les enseignants, les entraineurs, etc. Un des objectifs d’AlterGo est de leur donner les moyens et les ressources de générer cet engagement et d’offrir des opportunités.
De plus, le Défi sportif AlterGo est en quelque sorte la vitrine de l’accessibilité universelle. Il permet de sensibiliser les acteurs de la société civile, qui ont un pouvoir décisionnel et des ressources à investir, à l’existence du sport pour personnes handicapées. Il faut leur démontrer l’importance de considérer cette réalité dans leurs décisions et le choix des projets pour lesquels ils décident de s’engager. Il s’agit d’une occasion de changer l’image des personnes handicapées. Et il est là le pouvoir du sport et du loisir et du Défi sportif AlterGo : démontrer tout le potentiel des personnes handicapées, offrir des opportunités et mobiliser les partenaires.
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